Compte rendu de l’ouvrage de Louis-Sébastien Mercier,

De l’impossibilité du système astronomique de Copernic et de Newton, Paris, 1805,

publié dans L’Abeille du Nord, t. 15, p. 111-115.

Comment un homme d’esprit peut-il se donner la peine de faire un gros livre ayant pour titre : De l’impossibilité du système astronomique de Copernic et de Newton? Malheureusement pour M. Mercier, ce livre sera lu, parce qu’il est écrit avec une sorte d’originalité quelque fois piquante, plus souvent ridicule, et toujours trop facile, quand on veut n’avoir pas le sens commun. On ne peut même regarder cette absurde production comme une débauche d’esprit. On voit que l’auteur veut sérieusement combattre un système qui n’a d’autre tort à ses yeux que l’évidence. C’est cette évidence qu’il cherche à obscurcir par beaucoup d’étude dont il renforce avec obstination, son opiniâtre ignorance, un grand nombre de recherches faites en sens contraire de la volonté de s’instruire, et beaucoup de travail et de temps qu’il pouvait employer mieux. C’est de la folie froide et sans excuse, volontaire et sans espoir, laborieuse et sans but.

Que dans un journal on hasarde quelques paradoxes, autant en emporte le jour, le lendemain n’en sait rien. Que dans une brochure on se permette quelques opinions un peu folles; on en rit à souper; cela n’a que la valeur d’un propos de table; rien de plus; mais fausser sa raison, chercher ce qui est vrai, pour dire ce qui ne l’est pas, s’informer de ce que tout le monde croit, pour affirmer le contraire, étudier, pour se tromper plus sciemment, écrire avec plus de travail, pour laisser des traces plus profondes d’absurdité, faire un gros volume qui semble n’avoir pour objet que de prouver qu’avec un peu d’habitude de se mettre en délire, on peut s’y tenir longtemps; ma foi, cela n’en vaut pas la peine.

Il y a des temps pour tout; il y en a même de très heureux pour de semblables folies, et ils ne sont pas encore très-éloignés ces jours d’extravagance où l’on pouvait tout dire, pourvu que tout eût pour objet qu’il fallait douter de tout. Ce système qui avait son but, s’alimentait même des absurdités qui semblaient y avoir le moins de rapport. Le projet de ne rien conserver rentrait à merveille dans celui de tout détruire, et en attaquant les sciences, les savants, les lettres, les arts, on exerçait puissamment les esprits, et on les habituait à tout fronder. Il fallait tromper l’ignorance et les ignorants, puisqu’on voulait en tirer parti, et leur persuader qu’ils étaient les seuls savants, par la seule raison qu’ils ne savaient rien. A cette époque, les phrases suivantes du nouveau livre de M. Mercier auraient eu un succès prodigieux:

« Il y a des noms qui mystifient l’univers, et qui nous empêchent de juger les choses par nous mêmes. »

« Sous le nom d’Hippocrate, la médecine a tué plus d’hommes que l’épée de César. »

« Le règne d’Aristote a obscurci l’entendement humain, et pendant plusieurs siècles. »

« Un décidé helléniste, qui n’est pas un sot, est une espèce de phénomène. »

« Horace, Anacréon, Sapho, cadavres chargés de fleurs, ont chanté la débauche, et propagé jusqu’à nous les hymnes du libertinage. »

« Le chaste Boileau traduit les stances infâmes de Sapho à une Lesbienne; puis il raffole de cette pièce antique et scandaleuse. »

« Le mystificateur Newton n’obtiendra pas la longue renommée d’un Homère: si le soleil, sous son manteau de gloire, n’est plus qu’un gros charbon, le trône ou ce géomètre s’est assis’ craque et chancelle. »

« Locke est bien le plus mauvais métaphysicien que je connoisse, si toute fois il en méritoit le titre. »

« Quoiqu’il en arrive, la belle lanterne de notre globe n’en sera pas moins allumée par le père des mondes. Mais voilà donc le soleil réduit à sa juste valeur.... Sous les jets radieux de son étincelante atmosphère, le soleil! Il est nu, froid, opaque, peut-être gelé; mais cet astre dévoilé ne tombera point peur cela dans le mépris, il sera encore le flambeau, le réverbère de la maison. »

« Paracelse connoissoit mieux les profondeurs de, la nature et la sagesse divine que l’archange Newton. »

« Quand je veux réjouir mon imagination aux dépens du système, .je perce le globe du haut en bas, je jette dans l’ouverture le mont Athos; par les lois newtoniennes, il doit rester là au centre, cela est incontestable. Je perce le mont Athos de la même manière, j’y jette une boule de joueur; elle s’arrête de par les mêmes loix, au centre de la boule: je perce la boule, et j’y jette un petit pois; le voilà bien installé le régulateur et dépositaire de toute la force attractive de la terre. »

« Majestueuses planètes visibles et invisibles, qu’on représentoit comme de grosses toupies impitoyablement fouettées par le soleil je viens vous affranchir de cette rotation servile, pénible et dégradante. »

« Et toi, Terre... j’arrête aujourd’hui ta course inutile et folle, et je te remets en plein repos, ainsi que Dieu t’a faite. »

„ Toi, lune ! ... ta lumière sera propre, tu ne la recevras point désormais du soleil; sois fière de mon équité; quand tu t’éclipses, je le dirai à tous, c’est qu’il est bien reconnu qu’une faible lumière s’éteint dans une .très grande. »

« Et toi, soleil ! ... tu n’es qu’un globe innocent, couronné de rayons magiques ou phosphoriques. . . . Tu ne feras plus (plateau électrique) que presser la matière lumineuse, âme de la nature. »

« L’époque n’est pas trop éloignée où il semblera aussi ridicule qu’inconcevable qu’il ait fallu tant d’efforts pour ruiner la chimère du romancier Newton. »

Et le tout est daté de Paris, le 5 Novembre 1805. Le lieu et l’époque ne sont pas ce qu’il y a de moins étonnant dans cette inconcevable préface du plus étrange de tous les livres. A Paris, et au dix-huitième siècle, on ne s’attend pas à des inepties de cette force là; et qui les dit? Un homme d’esprit, et qui a fait de bons ouvrages. Que peut-il espérer en publiant de semblables rêveries? Le temps en est passé. Ces jongleries paradoxales ne produisent plus d’effet. Nous reprenons enfin nos certitudes; les sciences reprennent leurs appuis, les lettres leurs principes, les arts leur éclat; la raison reprend son empire, le goût ses convenances, et l’expérience ses leçons.

L’auteur a prévu une objection: « Vous parlez de la philosophie de Newton, et vous ne savez pas seulement lire ses principes mathématiques ».

Et savez-vous comment il répond à cela : ‘Qu’importe ! Pourvu que je fasse sentir par la force de mes raisonnements, que le système dont il s’agit est absolument faux ». Singulière manière de raisonner. Et ne croyez pas que l’auteur ignore les bases de ce système; on voit qu’il les connaît, et cela rend plus inconcevable encore le projet de le renverser. Quand on voudrait supposer un instant qu’il a voulu s’amuser, cette longue plaisanterie serait encore insupportable; une folie si laborieusement raisonnée et soutenue, a dû le fatiguer beaucoup et ne plaire à personne.

Plusieurs chapitres de cet ouvrage annoncent un homme habitué au travail, et qui vient tout nouvellement de s’instruire des diverses parties du sujet qu’il se propose de traiter. Il y a des recherches curieuses dans son ouvrage. On ne peut abuser avec plus d’originalité d’une instruction récente, et cependant plus approfondie qu’on ne peut s’y attendre, en voyant l’usage bizarre que l’auteur en fait. Beaucoup de partisans de Newton ne le défendraient pas aussi bien qu’il l’attaque; mais je ne vois dans tout cela qu’une perte d’esprit, de talent, de travail et de temps. L’auteur fait un peu rire, lorsqu’il s’écrie: « Physiciens ! Chimistes ! Savez-vous que ce volume me coûte quatre à cinq drames qui auraient propagé quelques vérités morales, préférables à la découverte du zodiaque de Dendora ? Après tout, ce Newton qui a fait le Système du Monde, n’a pas fait la Brouette du Vinaigrier, je ne parle pas de ma comédie, quoique roulante en Europe; je parle de la brouette inventée par Pascal. ... Me voilà parfaitement convaincu que les contes de ma mère l’Oie, ne sont pas plus absurdes que la mécanique céleste de Newton ».

Mais enfin l’auteur espère que ceux qui auront lu son livre regarderont comme démontré « qu’il s’est déjà, dit-il, plu à exposer sous une image populaire, et ce dont il a fait une maxime proverbiale pour l’instruction générale; savoir, que la terre n’est point comme un dindon rôti; ou plutôt comme une dinde aux truffes, tournant à la broche devant le soleil. » Or, si la terre n’est pas une dinde, Newton est un dindon , M. Mercier est le David-Pygmée qui a pu lancer la pierre de sa fronde au front de ce superbe Goliath , la géométrie est un grimoire qui se prête indéfiniment à l’absurde et à l’impossible, et le livre où tout cela est prouvé est un chef-d’œuvre.

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