Louis-Sébastien MERCIER, Satires contre Racine et Boileau (1808) : Morceaux choisis.

 

            Le texte complet se trouve ici.

 

Nés tous originaux, nous mourons tous copies :

Eh bien ! Qui rétrécit la sphère des génies ?

C’est ce code vanté, si froid et si mesquin,

Que Boileau composa d’après l’auteur latin.

Loin de sa profondeur, plus loin de son audace,

Il borne la carrière, il resserre l’espace :

Il défend tout essor ; abondance, vigueur.

Style mâle, hardi, fierté, tout lui fait peur.

Boileau n’aima jamais ; dans sa sombre malice

Il prit pour synonyme et la femme et le vice,

Ne comptant à Paris que trois dames de bien :

Si tel grand fat le dit, le sage n’en sait rien.

Mais j’oubliais encor son ode pindarique;

Est-il dans notre langue une ode plus comique?

Boileau, chapon dodu, qui buvait l’hypocras,

Parlant de charité, ne la connaissait pas,

S’en va chercher son pain de cuisine en cuisine.

C’est toi qui méritais d’endurer la famine.

Colletet doit dîner. Ah ! Dans ton beau salon.

Tu veux donc seul, barbare, être l’heureux glouton.

Que n’ai-je assez de bien ! Plus juste et plus utile,

À tout maigre écrivain j’ouvrirais un asile.

Je lui ferais présent d’un ventre rebondi,

Tous les jours bonne soupe au timbre de midi ;

Bien permis à chacun de lancer l’épigramme.

Que je hais Nicolas et que j’aime le drame !

Nicolas, j’eusse été ton célèbre rival :

Quel est le vers aisé, le vers qui dit du mal ?

Mais doux inquisiteur, par trois fois catholique,

Qui t’a chargé du soin de tuer l’hérétique :

Quand Linière, en ses vers pleins de rage et d’ennui.

Doit les voir tous brûlés, s’il se peut avant lui ?

Louis, les animant du feu de son courage.

Se plaint de sa grandeur qui l’attache au rivage.[vers de Boileau]

Ah ! Maître flagorneur, tu surpassas l’espoir

Du plus vieux courtisan adulant le pouvoir.

Ce mensonge si large entacha la victoire,

L’encens noircit l’idole en brûlant pout sa gloire.

 

Le défaut de talent fit le premier critique ;

Ce censeur vétilleux et jamais pacifique

Dans toute phrase aisée amène l’embarras ;

Il veut que vous marchiez et s’oppose à vos pas.

Comme les grandes mers ont les plus hauts rivages,

Les imperfections sont dans les grands ouvrages.

Quel joug ne brise point l’esprit audacieux ?

Milton sans code obscur s’éleva dans les cieux.

L’homme a toujours dans l’âme une vieille querelle

Pour cette liberté qui lui fut naturelle.

Il dit :   Oui, comme toi je me sens troubadour ;

Compagnon, mets-toi là, je te juge à mon tour.

 

Quand l’amour est au cœur, l’œil en a plus de grâce ;

Le génie à nos traits donne une noble audace.

Qui ne sait distinguer le front du jeune amant,

Ou le poète épris d’un heureux sentiment?

Le front de ce critique est soucieux et pâle,

Des noirs feux de l’envie il porte tout le hâle ;

Et comme s’il craignait de se montrer tout nu,

II affecte un air froid, modeste et retenu,

En frayeur d’exposer à nos âmes blessées,

Son mauvais caractère et ses vides pensées.

Ces mouvements secrets qui naissent malgré lui

Révèlent à nos yeux sa honte et son ennui.

 

Comme dans nos guérets le grain qui point à peine

Périt sous les frimas que l’aquilon déchaîne,

Tel le critique dur flétrit le tendre jet :

Et pourquoi dans la fleur étouffer le bouquet ?

Un jeune arbre est flexible ; un pâtre sans amour

M’aigrit contre la main qui le tord chaque jour.

Le passé nous égare ; aveugles que nous sommes,

Condamner les vivants est-ce créer des hommes ?

 

Isole-toi, descends, écris dans un tombeau

Fais ton style, établis un livre tout nouveau.

Sers de modèle au monde, et n’imite personne;

L’esprit indépendant, il se désemprisonne !

II s’élève avec force, il montre avec fierté

Son droit incontestable à la célébrité.

Le génie abandonne un sein pusillanime,

 

Sans généreuse audace on n’est jamais sublime.

Que devient, quand la gloire a donné le signal,

Le petit juge assis sur son haut tribunal ?

 

A-t-il donc pu blesser, sous leur dais littéraire,

Couronnés de lauriers Jean-Jacques et Voltaire ?

L’invective à la bouche et la jaunisse à l’œil,

Ce vil folliculaire, il nourrit son orgueil.

Malgré son fiel vénal, les talents ont leur gloire,

Chacun a ses vertus ; Zoïle n’y peut croire.

Quand il n’est plus il laisse empreinte sur le mur

La trace de sa bave et de son sang impur.

Soit. Sur les Apennins, un chêne au front superbe

S’élance dans les airs du sein flétri de l’herbe.

Tandis que les buissons à ses pieds répandus.

Étouffés dans son ombre y meurent confondus :

Parasites hardis, vaincus par sa puissance ;

Tels de la renommée absorbant la substance.

Le nom de Montesquieu, le nom du bon Rousseau,

Font d’une urne moderne un antique tombeau.

D’un pas respectueux on foule cette enceinte.

Aux combats indécents, les journaux sont ouverts.

On s’y bat pour la prose, on s’y bat pour les vers.

Boileau fut bien coupable ! Il a donné l’exemple;

L’injurieux feuilliste, il se dit dans son temple.

Boileau forma l’essaim de ces vendeurs d’extraits

Que l’on peut appeler des hommes de palais :

Éternelle chicane, aigreur impertinente,

Ont rendu la science amère et dégoûtante.

Mais laissons le champ libre aux trois commentateurs.

Pesant des pieds de mouche et longs dissertateurs :

D’énoncer de grands riens ils ont le privilège...

Aux armes. Feuilletons!... Je suis le sacrilège.

 

On pourra consulter, pour la curiosité, une critique anonyme contre Mercier, publiée la même année dans L’Esprit des Journaux français et étrangers.