LES DÉLIQUESCENCES
POÈMES DÉCADENTS
D’ADORÉ FLOUPETTE
BYZANCE
CHEZ LION VANNÉ, ÉDITEUR
1885
LIMINAIRE
Et tout le
reste est littérature. (PAUL VERLAINE)
En
une mer, tendrement folle, alliciante et berceuse combien ! De menues exquisités
s’irradie et s’irise la fantaisie du présent Aède. Libre à la plèbe littéraire,
adoratrice du banal déjà vu, de nasillotter à loisir
son grossier ron-ron. Ceux-là en effet qui somnolent
en l’idéal béat d’autrefois, à tout jamais exilés des multicolores nuances du
rêve auroral, il les faut déplorer et abandonner à leur ânerie séculaire, non
sans quelque haussement d’épaules et mépris. Mais l’Initié épris de la bonne
chanson bleue et grise, d’un gris si bleu et d’un bleu si gris, si vaguement
obscure et pourtant si claire, le melliflu décadent dont l’intime perversité,
comme une vierge enfouie emmi la boue, confine au
miracle, celui-là saura bien, — on suppose, — où rafraîchir l’or immaculé de
ses Dolentes. Qu’il vienne et regarde. C’est avec, sur un rien de lait, un peu,
oh très peu de rose, la verte à peine phosphorescence des nuits opalines, c’est
les limbes de la conceptualité, l’âme sans gouvernail vaguant, sous l’éther
astral, en des terres de rêve, et puis, ainsi qu’une barque trouée, délicieusement
fluant toute, dégoulinant, faisant ploc ploc, vidée
goutte, par goutte au gouffre innommé ; c’est la très
douce et très chère musique des cœurs à demi décomposés, l’agonie de la lune,
le divin, l’exquis émiettement des soleils perdus. Oh ! combien
suave ce câlin, ce : bonsoir, m’en vais, l’ultime farewel
de tout l’être en déliquescence, fondu, subtilisé, vaporisé en la caresse
infinie des choses ! Combien épuisé cet Angélus de Minuit aux désolées tintinnabulances, combien adorable cette mort de tout !Et maintenant, angoissé lecteur, voici s’ouvrir la maison
de miséricorde, le refuge dernier, la basilique parfumée d’ylang-ylang et
d’opoponax, le mauvais lieu saturé d’encens.
Avance, frère ; fais les dévotions.
PLATONISME
La chair de la Femme, argile Extatique,
Nos doigts polluants la vont-ils toucher?
Non, non, le Désir n’ose effaroucher
La Vierge Dormante au fond du Tryptique.
La chair de la Femme est comme un Cantique
Qui s’enroule autour d’un divin clocher,
C’est comme un bouton de fleur de pêcher
Éclos au Jardin de la nuit Mystique.
Combien je vous plains, mâles épaissis,
Bouges d’Hébétude et bleus de soucis,
Dont l’âme se vautre en de viles proses !
Ô sommeil de la Belle au bois Dormant,
Je veux t’adorer dans la Paix des roses,
Mon angelot d’or, angéliquement
POUR ÊTRE
CONSPUÉ
Devinés au coin des brocatelles,
J’ai perçu tes contours subtils, presque ;
Je songeais alors à quelque fresque,
Remembrée avec des blancheurs d’ailes !
C’est pourtant le Tourment d’un ascète.
Pourquoi pas ? Je le sais, moi, nul autre,
— L’Oiseau bleu dans le Chrême se vautre.
— Qui comprend, je le tiens pour mazette !
SUAVITAS
L’Adorable Espoir de la Renoncule
A nimbé mon cœur d’une Hermine d’or.
Pour le Rossignol qui sommeille encor,
La candeur du Lys est un crépuscule.
Feuilles d’ambre gris et jaune ! Chemins
Qu’enlace une valse à peine entendue,
Horizons teintés de cire fondue,
N’adorez vous pas la tiédeur des mains ?
O Pleurs de la Nuit ! Étoiles moroses !
Votre aile mystique effleure nos fronts,
La vie agonise et nous expirons
Dans la mort suave et pâle des Roses !
IDYLLE
SYMBOLIQUE
Amoureuses Hypnotisées
Par l’Indolence des Espoirs,
Ephèbes doux, aux
reflets noirs,
Avec des impudeurs rosées,
Par le murmure d’un Ave,
Disparus! Ô miracle Etrange !
Le démon suppléé par l’Ange,
Le vil Hyperbole sauvé !
Ils parlent, avec des nuances,
Comme, au cœur vert des boulingrins,
Les Bengalis et les serins,
Et ceux qui portent des créances,
Mais ils disent le mot : Chouchou,
— Né pour du papier de Hollande, —
Et les voilà seuls, dans la lande,
Sous le trop petit caoutchouc !
SYMPHONIE EN
VERT MINEUR
VARIATIONS SUR
UN THÈME VERT POMME
L’alme fragilité des nonchaloirs impies
A reflété les souvenirs glauques d’Eros ;
La ligne a trop dé feu dés marbres de Paros,
Trop d’ombre l’axe des sorcières accroupies.
Le symbole est venu. Très hilares, d’abord,
Ont été les clameurs des brises démodées.
Tristes, aussi, leurs attitudes, tant ridées
Par la volonté rude et l’incessant effort.
Nous avons revisé pourtant : l’azur est
rose ;
Depuis qu’il n’est plus bleu, nous voulons qu’il soit vert.
Je fermerai le Tabernacle, encor ouvert,
En modulant l’Ennui de mon âme morose.
ANDANTE SCHERZO
Si l’acre désir s’en alla,
C’est que la porte était ouverte.
Ah ! verte, verte, combien verte,
Était mon âme, ce jour-là !
C’était, — on eut dit, — une absinthe,
Prise, — il semblait, — en un café,
Par un Mage très échauffé.
En l’Honneur de la Vierge sainte.
C’était un vert glougloutement
Dans un fossé de Normandie,
C’était les yeux verts d’Abadie
Qu’on a traité si durement.
C’était la voix verte d’un orgue,
Agonisant sur le pavé ;
Un petit enfant conservé,
Dans de l’eau très verte, à la Morgue.
Ah ! comme vite s’en alla,
Par la porte, à peine entr’ouverte.
Mon âme effroyablement verte,
Dans l’azur vert de ce jour-là !
PIZZICATI
Les Taenias
Que tu nias,
Traîtreusement s’en sont allés.
Dans la pénombre,
Ma clameur sombre
A fait fleurir des azalées.
Pendant les nuits,
Mes longs ennuis,
Brillent ainsi qu’un flambeau clair.
De cette perte
Mon âme est verte ;
C’est moi qui suis le solitaire !
FINALE
Dans les roseaux
Du bord des eaux,
Dans les sentiers
Verts d’Églantiers,
Nous nous laisserons mourir,
Puisque tout va refleurir !
Pour calmer les ruts bavards,
Oh ! cueillons les nénufars
!
Endormons-nous !
Les blancs genoux
Nous les laissons
Aux polissons !
Point d’impudeurs !
Fi des verdeurs !
Tout sera bien
S’il n’est plus rien.
Car le temps est arrivé
Où le Blanc, seul, est sauvé !
POUR AVOIR
PÉCHÉ
Mon cœur est un Corylopsis du Japon. Rose
Et pailleté d’or fauve, — à l’instar des serpents,
Sa rancœur détergeant un relent de Chlorose,
Fait, dans l’Ether baveux, bramer les Aegypans.
Mon âme Vespérale erre et tintinnabule,
Par delà le cuivré des grands envoûtements ;
Comme un crotale, pris aux lacs du Vestibule,
Ses ululements fous poignent les Nécromans.
Les Encres, les Carmins, flèches, vrillent la cible,
Qu’importe, si je suis le Damné qui jouit?
Car un Pétunia Mie fait immarcessible.
Lys! Digitale! Orchis! Moutarde de Louit
!
SONNET LIBERTIN
Avec l’assentiment des grands héliotropes (ARTHUR RIMBAUD).
Quand nous aurons, avec de bleus recueillements,
Pleuré de ce qui chante et ri de ce ce
qui souffre,
Quand, du pied repoussés, rouleront dans
le Gouffre
Irrités et pervers, les Troubles incléments ;
Que faire? On doit laisser aux stupides amants
Les Balancements clairs et les Effervescences ;
Nous languirons emmi les idoines
essences,
Évoquant la Roseur des futurs errements.
Je mettrai dans l’or de tes prunelles blêmies
L’Inassouvissement des philtres de Cypris.
— Les roses de ton sein, qu’elles vont m’être amies !
— Et, comme au temps où triomphait le grand Vestris
Très dolents, nous ferons d’exquises infamies,
— Avec l’assentiment de ton Callybistris.
—
CANTIQUE AVANT
DE SE COUCHER
La Vie atroce a pris mon cœur dans sou étau,
La Vie aigre sonne un tocsin dans mou oreille,
La Vie infàme a mis ses poux dans mon
manteau.
Je suis comme un raisin plâtré sous une treille,
Comme un quine égaré par l’affre du Loto.
Comme un Pape très blanc et très doux qui sommeille.
Désespérance morne au seuil du Lys Hymen !
— Nimbé d’Encens impur j’agonise et je fume.
— Ô l’Induration lente du Cyclamen !
Ô les Morsures dans l’Alcôve qui s’allume !
Ô les Ostensoirs dans la Basilique! Amen!
REMORDS
L’Église spectrale était en Gala.
Dans un froufrou, les femmes passaient vite.
Blanc sur blanc, en son étroite lévite,
L’Enfant de chœur, doux, tintinnabula,
Était-ce une vache avec ses sonnailles?
Quand le Curé noir en vint à chanter,
Mes remords se sont mis à gigoter.
Oh ! oh ! oh ! remords ! Que tu me tenailles ! ! !
C’est vrai pourtant, je suis un mécréant,
J’ai fait bien souvent des cochonneries,
Mais, ô Reine des Étoiles fleuries,
Chaste lys ! prends en pitié mon Néant !
Si tous les huit jours je te paie un Cierge,
Ne pourrais-je donc être pardonné ?
Je suis un païen, je suis un Damné,
Mais je t’aime tant, Canaille de Vierge !
BAL DÉCADENT
C’était une danse
De la décadence
Comme un menuet
Dolemment fluet.
C’était des chloroses
Et c’était des roses.
On ne sautait pas,
On allait au pas.
Mais les girandoles
Étaient presque folles.
Les lustres flambaient
Et les seins tombaient.
Dans ce flux de monde,
Je vis une blonde.
Aux yeux culottés
Par les voluptés.
En ses airs de morte,
Une vraie Eau forte.
Ange mal bâti,
Gamin perverti,
Lune blêmissante
Et concupiscente,
Fleur d’opoponax,
Souvenir d’Anthrax,
Blafarde et vermeille.
Très jeune et très vieille.
Elle souriait,
Et m’extasiait :
« Article Paris,
Ta poudre de riz
D’une éteinte flamme
M’auréole l’âme.
Si tes yeux sont verts,
Mon cœur est pervers.
Ta désespérance,
Oh ! quelle attirance !
Laisse moi
t’aimer,
Et me consumer ! »
Je dis et m’élance.
Mais, motus, silence!
Faut pas s’emballer....
Voici s’en aller
Toute mon essence,
En déliquescence ! !
DÉCADENTS
Nos pères étaient forts, et, leurs rêves ardents,
S’envolaient d’un coup d’aile au pays de Lumière.
Nous dont la fleur dolente est la Rose Trémière,
Nous n’avons plus de cœur, nous n’avons plus de dents !
Pauvres pantins avec un peu de son, dedans,
Nous regardons, sans voir, la ferme et la fermière.
Nous renâclons devant la tâche coutumière,
Chariots trop amusés, ultimes Décadents.
Mais, ô Mort du Désir ! Inappétence exquise !
Nous gardons le fumet d’une antique Marquise ?
Dont un Vase de Nuit parfume les Dessous !
Être Gâteux, c’est toute une philosophie,
Nos nerfs et notre sang ne valent pas deux sous,
Notre cervelle, au vent d’Été, se liquéfie !